Jaques Parisse
[...] [de la sérigraphie] Thierry Wesel en connaît toutes les possibilités , toute la cuisine jouant avec la couleur et les surfaces blanches réservées, déroutant le regard par d'étonnants aplats inventés. Ainsi il recrée la réalité, car c'est bien de la réalité qu'il s'agit. Il s'est un temps intéressé aux architectures, puis aux stations de pompage, sérigraphies réunies à la médiathèque. Aujourd'hui, aux Chiroux, il cherche à piéger le quotidien dans sa banalité. Mais la sérigraphie la transcende : son Amérique à lui, des propos évangéliques et même deux solides paires de godasses — celles du voyageur — qui encadrent de précieux escarpins féminins. Je crois que Wesel nous donne des traces de sa vie depuis qu'enfant il se promenait avec son père ou son grand père sur la plage de Westende».
RTBF, Liège matin, 17 mars 1994, Direct

Vincent Cartuyvels
«Superposer les séquences du chaos orthogonal new-yorkais. Perforer l'image en zooms délirants. Frapper l'œil, crever le fond, revenir sur le plan. Y lancer un dix-tonnes, incruster une star, forcer le chahut des rues verticales par des syncopes saturées. Griffer, déchirer, repasser, tramer, … jusqu'à défigurer. En sortir la volupté du tohu-bohu, dénicher les pétales splendides dans un bitume fondant, croiser des corps chauds près d'un billard glauque. Sans doute, de ce Rauschenberg tonitruant, extraire un alphabet nouveau, un carburant étrange produit des mégapoles qui nous attendent.»
Michel Cleempoel + Jean-Pierre Point + Thierry Wesel. Un dénominateur commun : l'image numérique, dans Art&Fact - n° 19 - L'art et la ville, Liège, 2000, p. 122-127

Anne Gersten
Thierry Wesel glane ses images au hasard de promenades dans la ville. Son regard s'arrête toujours sur un pan de mur délabré, une cheminée effondrée, une verrière brisée, une porte disloquée, des poutrelles de métal tordues et rouillées..., débris, éboulis, vestiges d'une vie qui semble s'être arrêtée. Maisons inhabitées aux toitures éventrées, vieux entrepôts ouverts à tous vents, immenses espaces désolés d'anciens sites industriels laissés en friche,tous ces lieux déglingués, désuets, « hors-service » sont livrés à notre curiosité.
Au départ d'un cliché photographique sur le tamis de sa toile sérigraphique, Thierry Wesel construit des images monumen-tales qui révèlent l'immensité et la désolation de ces lieux oubliés. Parfois, seul un détail agrandi occupe toute la page et prend une dimension proche de l'abstraction. Les contrastes sont alors très soutenus. Le noir intense s'allie à un bleu saturé, obscur et profond, conférant à l'image une présence qui s'impose avec force. Ailleurs, comme celui des prairies éteint par le froid de l'hiver, c'est le vert, celui des fenêtres et des verrières, que ses accords avec les noirs incisifs assombrissent et teintent de mélancolie. L'harmonie est secrète et c'est tapie au fond de l'être, que l'on peut en trouver la résonnance.
Dans les fascinantes images de vastes espaces désolés d'anciennes fabriques et d'usines ruinées, le travail de Thierry Wesel est tout en noir, blanc et gris, reflets de l'usure du temps qui ternit toutes choses et efface les couleurs de la vie. Comme un fin voile à travers lequel on découvre le spectacle, la trame pro-duit de subtiles nuances grisées qui estompent les contours et filtrent la lumière. Vieux rouages édentés de machines grippées, barils de métal cabossés, barres de fer tordues, morceaux de bois hérissés de vieux clous rouillés, tous les objets abandonnés pêle-mêle trouvent dans le silence de ces lieux oubliés une étrange harmonie que leur confère l'épais manteau de poussières et de lumières éteintes qui les absorbent et les unifient. Les grandes verrières ébréchées encore suspendues au sommet de fines colonnes de métal restées debout, élan d'une charpente ogivale inter-rompue, arcades ajourées dans le vide rappelant la division de l'espace en vastes nefs sont enveloppés d'une lumière mystérieuse qui circule, s'accroche sur un pan de mur, effleure une poutrelle ou s'évade par une brèche béante. Telle « La cathédrale engloutie », ces ruines industrielles s'érigent en un souvenir sublime et nostalgique de ces lieux qui furent plein de vie encore proches de nous et déjà... si loin.

Wégimont Culture, n°211, janvier 2006

Philippe Delaite
L'errance est notre demeure, l'éphémère notre constance ; bref, nous n'habitons nulle part.
Sam Shepard 

Dans La Poétique, Aristote remarque «la poésie est plus philosophique et plus noble que la chronique : la poésie traite du général, la chronique du particulier ». L’art de Thierry Wesel nous parle – avec humour parfois, avec lucidité toujours - du temps qui passe, de ce qu’il transforme, de ce qu’il laisse, de ce qu’on oublie. Un fragment, le commun du quotidien, l’insignifiant, saisi par la sélection du cadrage, altéré par les sortilèges acidulés de la sérigraphie, nous apparaît alors, grâce à lui, dans toute son évidence.   
Theux, le 15 février 2022, in Wegimont Culture n° 317, avril 2022

Anne Gersten
Splendeur et misère
Solitaire, Thierry Wesel aime se promener dans des lieux insolites où personne ne va plus, ne vit plus. Appareil photo en main, il explore les ruines de bâtiments abandonnés là où le silence règne au milieu des murs délabrés, des vitres cassées, des fers à béton rouillés et quelques barbelés qui tentent de protéger le lieu, en attente … En attente, souvent longue, d'une décision de réhabilitation ou … de démolition. De toute façon, quoi qu'il advienne, tout aura changé et le passé sans doute sera vite oublié. Entre-temps, les affres du temps s'acharnent et finissent par venir à bout, ou presque, de ces murs, ces toits, ces fenêtres élevés dans la brique, le béton et le verre pourtant conçus pour durer, résister, protéger. Les affres de la vie aussi ajoutent à la désolation des murs écroulés, des toits effondrés, des vitres brisées, lorsque les laissés-pour-compte de notre société squattent le bâtiment et y expriment leur colère ou leur désespoir. Les investigations de Thierry Wesel l'ont conduit dans deux illustres hauts lieux de la vie liégeoise : l'ancien hôpital de Bavière et l'université du Val-Benoît. On connaît aujourd'hui leur destinée. De l'hôpital de Bavière, il ne restera quasi rien. Le Val-Benoît, quant à lui, s'anime déjà d'une nouvelle vie, d'une autre vie, loin des étudiants et des ingénieurs aujourd’hui définitivement relocalisés sur le campus du Sart Tilman. Dans ces déambulations au cœur des ruines, ce sont les fenêtres qui ont attiré le regard de Thierry Wesel et plus particulièrement, l'encadrement – le châssis. Comme si, de la fameuse fenêtre albertienne, il nous donnait à voir la fenêtre elle-même, le cadre, et non ce qu'il y a au-delà. Mais, loin d’Alberti, la fenêtre de Thierry Wesel n’ouvre sur rien, ne raconte aucune histoire. Son rôle s'inverse, elle nous tient au dehors, dans la lumière, et son ouverture à travers les bris de vitres ou leur disparition, nous plonge dans le noir ou nous renvoie les reflets du monde extérieur qui l’obstruent tout autant. La lumière est éteinte. Les verrières sont cassées, elles ne disent plus le bouillonnement de la vie et des activités disparues. Sur certaines fenêtres aux vitres brisées, semble surgir un motif abstrait étrange, un aplat de couleur noire au contour déchiqueté tranchant sur la blancheur opaque du verre. Ce qui nous semble un motif peint n'est évidemment que le vide, le béant résultant du vitrage éclaté qui laisse entrevoir les profondeurs désertées de l'intérieur du bâtiment. Et pourtant ce vide, d'un noir profond, semble avoir une présence réelle, la présence de l'absence comme, peut-être, voulait l’exprimer Malevich dans son fameux Carré noir sur blanc. Pour rendre la présence de l'absence, Malevich, pour mieux s'éloigner de toute référence possible au monde réel, a choisi un carré, la forme la plus neutre et la plus minimale qui soit. De ce carré d’un noir intense, plat, frontal, inscrit dans un carré blanc, n’émane que le silence, celui de la plénitude et de l'apaisement de l'âme. Dans les « tableaux » de Thierry Wesel, le motif, noir sur blanc, mais informe, tranchant et déchiqueté, en serait la version tragique. N'y voir que du noir serait passer à côté de la véritable alchimie de l'art de Thierry Wesel. Après la prise de vue, les clichés photographiques passent sur le tamis de la presse sérigraphique et là, l'artiste, par la magie des couleurs transmue la misère en une vision empreinte d'une poétique splendeur. La couleur s’immisce dans la grisaille et l’illumine. Un vert émeraude, féerique, redonne tout son lustre à la géométrie parfaite des formes et des rythmes des croisures des châssis métalliques, caractéristiques du style moderniste des bâtiments élus par l'artiste. Accord parfait lui aussi, avec la coloration tout en subtilité des roses et mauves, plus ou moins légers ou appuyés, qui teintent les pans de mur retenus par le cadrage serré autour de ce motif unique, le châssis. Sans doute empreints d'une nostalgie de la splendeur disparue de temps révolus, ces lieux de délabrement sont prodigieusement réenchantés. Et nous plonge, un peu à la façon des romantiques, dans la fascinante beauté des ruines. Misère et Splendeur, châssis-croisés.
Wégimont Culture, n°322, mars 2023